jeudi 20 octobre 2011

Best of the Best - Le Luxembourg


Believe it or not, il fut un temps où le Luxembourg était un pays de luxe à l’Eurovision, enchainant les victoires et envoyant chaque année des candidats stars tels que France Gall, Lara Fabian, Nana Mouskouri, Hugues Aufray ou Michel Torr… Oui bon, voilà les stars. D’ailleurs, amis lecteurs et euro-philes, jouons à un jeu : à votre avis, quel est le pourcentage de candidats luxembourgeois à être effectivement originaires du pays ? Et oui, Tout comme la Suisse ou Monaco (autres faux pays du concours), le Luxembourg a au fil des années sournoisement volé ses candidats chez ses voisins européens. Mais soyons honnêtes, et reconnaissons au grand Duché quelque chose que les deux autres pays sus cités n’ont pas : de la personnalité. Car le Luxembourg c’est avant tout la candeur à l’état pur, des chansonnettes sur les oisillons, les tartines et la béatitude de la vie. Mais c’est aussi évidemment un grand pays du rire, un festival de francophonie avec des accents improbables, un grand massacre de notre langue par des chanteuses qui semblent parfois à peine la comprendre. Le pays à néanmoins tiré sa belle révérence en 1993, par caprice ou lassitude suite à des score de plus en plus mauvais. Résultat, ils n’ont jamais pu vraiment effectuer leur mue, en envoyant par exemple des candidats absurdes, comme tout bon pays au bord de la noyade. Non, le l’image du Luxembourg reste à jamais celle d’une douce et candide adolescence.

10. Vicky Leandros – L’amour est bleu (1967)

On commence avec du très sérieux (voire du austère), avec un des tubes old school du concours : « L’amour est bleu », qui hélas n’a pas été utilisé pour le BO des Schtroumpfs (on espère qu’ils y penseront pour la suite). A l’époque, l’Europe n’a pas vraiment encore compris que si le concours passe à la télé et pas à la radio, c’est qu’il doit bien y avoir une raison, l’Ukraine n’est pas encore arrivée avec ses putes en cage et l’Irlande n’a pas encore dégainé ses peluches qui chantent dans des chiottes. A Shalali Shalala, on part du principe qu’on juge plutôt des performances que des chansons, mais il faut bien avouer que le Vicky-show, malgré une intro médiévale pas très funky et des joues qui bouffent tout l’écran, possède au moins une qualité rare : une certaine tenue. Vicky qui est grecque et donc absolument-pas-luxembourgeoise-bande-de-voleurs, est revenue 5 ans après pour gagner toujours sous le drapeau luxembourgeois (re-soulignons la supercherie), avec un morceau plus oubliable et oublié. Parmi les nombreuses reprises de ce morceau on est d’ailleurs en droit de préférer à l’original la reprise de Claudine Longet, it-girl des 70’s. 4e place

9. Sarah Bray – Un baiser volé (1991)

Je vous vois venir avec vos jeux de mots sur le patronyme de la pauvre Sarah, qui ne mérite pourtant pas d’être comparée à un animal (petit jeu, quel est l’animal qui brait ?), mais sachez qu’il s’agit d’un habile pseudonyme. Son vrai nom, bien plus féminin, est Mick Wersant. La jeune Sarah (on va continuer à l’appeler comme ça), avant d’être employée de banque, se serait faite remarquer en jouant de la trompette dans son village (mais qui a écrit cette page wikipedia ?!). Le soir du concours, accompagnée d’une jeune Susan Boyle au piano, elle décide de s’enrouler dans un rideau moiré et d’appeler ça une robe, et nous livre un texte plein d’optimisme et de bonne volonté, qu’elle a elle même composé. On ne sait pas très bien s’il s’agit d’un appel à la réconciliation des peuples ou plus prosaïquement à l’agression sexuelle, mais en tout cas on aimerait beaucoup que Nafissatou Diallo, Tristane Banon et Dominique Strauss Khan reprennent cette chanson en cœur main dans la main. Bon, on peut railler sa naïveté, mais mine de rien le texte pose de vraies questions, après tout : « Comment peut-on unir les horizons ? », hein ? Vous avez quatre heures. Ah et sinon, c ‘est l’âne qui brait. 14e place.

8. Marion Welter & Kontinent - Sou fräi (1992)

Marion est la toute première candidate de notre classement à être bel et bien de nationalité luxembourgeoise. C’est suffisamment rare pour être souligné car ils ne furent que … cinq en quarante ans de candidature. Et Marion enfonce le clou en chantant carrément en luxembourgeois (oui c’est une langue en soi), ce qui n’était arrivé qu’une seule fois en 1960. Et c’est presque dommage, car ces paroles valent plus que tous les trésors du monde. Sur l’échelle de la candeur luxembourgeoise, ça vise beaucoup plus haut que Sarah Bray, on atteint carrément l’Himalaya. Regardez cette traduction : « Comme un cerf-volant sorti d’une aquarelle / Ivre de couleur sur un tremplin d’azur, whoa / Je voudrais voler, oh whoa, au vent des libertés " Où est mon sac à vomi, vite ?! (Ah oui, on m’avait dit "pas trop de cynisme", zut!). Mais Marion n‘est pas qu’une plume, c’est aussi un corps de femme, et pour bien en convaincre toute l’Europe, elle s’est habillée en mire de la télé. So Glamazone. Allez, on se remet un coup de paroles « Regardez l'enfant marcher dans la lumière / D'un éclat de rire, il dessine ses rêves / Je voudrais voler, oh whoa, au vent des libertés». Tout ça sur des synthés dignes d’un générique de série américaine des années 80, c’est génial. 21e place sur 23.

7. France Gall – Poupée de cire, poupée de son (1965)

Gainsbourg et l’Eurovision, deux univers incompatibles ? C’est oublier que le chanteur français a collaboré à quatre reprises au concours, en composant pour Dani, Joelle Ursull, et l’inénarrable Minouche Barelli. Quand on vous dit que l’Eurovision peut être chic et crédible, parfois. Cette chanson composée pour France Gall bénéficie d’un irrésistible rythme de cavalerie (que Neil Hannon a d’ailleurs pompé pour bâtir la moitié du catalogue de Divine Comedy, c’est lui-même qui le dit). Pourtant la performance de France ce soir-là n’a pas été un lit de roses : sifflée par les musiciens, qui préféraient sans doute les vieux sirops grumeleux de l’époque, elle est donnée dernière par les bookmakers, sa voix frêle tremblote par manque d’assurance (bon ok, elle chante carrément faux, mais va t’amuser à chanter ça d’un seul souffle au karaoké et on en reparle). Et pourtant, la cavalerie est bel et bien venue à sa rescousse, car elle finit première haut la main. Mais ses déboires ne s’arrêtent pas là : sa concurrente anglaise (la fort bien nommé Kathy Kirby), donnée grande favorite, entre de force dans sa loge pour la gifler (notons au passage que Kathy est morte l’an dernier, on la salue bien), puis Claude François, son mentor et amant de l’époque, l’appelle illico pour la faire pleurer et lui hurler dessus « « Tu as chanté faux, tu étais nulle… ». Où l’on découvre que Claude François était aussi teigneux et diva que Diana Ross. Quoi qu’il en soit, l’histoire s’est vengé d’eux, puisque le tube, rentré sur les plus hautes marches du panthéon de la chanson française, a depuis été reprise par plein d’artistes de bon gout, tels Belle and Sebastian, Arcade Fire ou encore Kim’ Kay.

6. Margo, Franck Olivier, Diane Solomon, Ireen Sheer, Chris & Malcolm Roberts – Children, Kinder, enfants (1985)

Passons à un candidat du rire. En 1985, le Luxembourg tombe dans un piège pourtant bien grossier : celui du groupe à multiples nationalité (alors que c’est vraiment une stratégie débile qui ne marche jamais). Nous voici donc avec ces six gus : 1 Allemand, 1 Hollandais, 1 Américain, 2 Anglais et 1 Luxembourgeois pour le quota, qui n’ont visiblement même pas été fichus de se trouver un nom de groupe (on propose Les Nazes ?) ou une chorégraphie correcte (non mais regarde le geste qui tue à 0.27 !). Et pour contrebalancer cette absence flagrante de talents (bon ok, ils chantent juste et ont tous un bon accent), ils ont fait appel au monsieur tube de l’Eurovision, Ralph Siegel, compositeur des meilleurs standards allemands du concours. Et bien malgré tout ça, on reste dans le mauvais gout le plus addictif, un choc visuel difficile à oublier, quelque part entre un sketch des Charlots et une secte des Mondes Engloutis. Gants blancs, crinières en paille… ce serait déjà beaucoup s’il n’y avait pas surtout, là encore, un texte en or. Même Jacques Martin aurait sans doute eu honte d’enchaîner de tels clichés mielleux sur les bambins, grotesquement idéalisé en chérubins magiques de contes de fée. Clairement ces gens-là n’avaient pas d’enfants. Ils n’avaient jamais vu « La Malédiction » ou « le Village des damnés » non plus. Quand à cette mystérieuse phrase « Tous les enfants disent je t’aime en faisant des bulles », on ne sait pas trop comment l’interpréter. 13e place.

5. Park Cafe - Monsieur (1989)

Le moment est venu de faire un jeu : regardez la vidéo ci-dessus et écoutez. Et surtout essayez de déchiffrer les paroles. Non, il ne s’agit ni d’araméen ni de langue aborigène, ni un langage imaginaire chanté avec une patate chaude dans la bouche, c’est bien du français. Après avoir envoyé des françaises, des grecques etc… la délégation luxembourgeoise a été chercher Maggie Park qui nous vient tout droit de Salt Lake City. Et là encore, un morceau correct-mais-sans-plus se retrouve complètement transcendé par une interprétation from outer space. Voici donc M’ame Maggie qui trippe et tournicote en baragouinant des paroles paraissant improvisées (comprenait-elle seulement ce qu’elle chantait ?). Vous ne direz plus jamais Hollywood de la même manière (allez on répète tous ensemble : « hallé-wohoh »). Ça devrait rappeler des souvenirs à tous ceux qui ont vu Beyoncé chanter avec les Choristes sur la scène des Oscars avec un accent digne d’un sketch de Michel Leeb. Encore un texte plein de clichés euh candeur sur le cinéma (voir Paola dans le top Suisse), mais cette fois-ci version dark et Lynchienne sur l’envers du miroir, « un monde imaginaire sans script, sans scénario ». Angoisse. Dommage qu’on n’entende pas bien les chœurs, car ils prononcent pourtant en boucle cette phrase magique « Il vit à Tooneland » (alors que "Il vit à Founeland" ç'aurait été bien mieux). Foutez-la dans la trempette, tiens. 20e place sur 22.

4. Céline Carzo – Quand je te rêve (1990)

Les sourcils et la mâchoire les plus sévères du show bizz, c’est elle. Jouons à un nouveau jeu, regardez cette vidéo et tentez de deviner l’âge de Céline. 34 ans ? 48 ? 102 ? 6 ? Et bien non, vous n'y êtes pas. Malgré ses airs d’avoir déjà bien bourlingué sur la route des cœurs cabossés, Céline avait ce soir-là…17 ans !! La rédaction a eu besoin d’un certain laps de temps pour digérer cette information (on n’avait pas un tel choc depuis la découverte de l’âge de Svetlana Loboda, cf top Ukraine). Céline avait donc l’âge de passer son bac, donc. Sûrement un bac L, à en juger pas la richesse de ses rimes en -our (pas évidentes à trouver, fais le test chez toi sur ton cahier à poésie). La power-ballade commence très fort avec l’apparition de ces putes en gants de satin qui jouent du clavier avec un seul doigt (à 0.28 on se croirait dans Les Prédateurs), puis se fait peu à peu trépidante jusqu’à un finale héroïque où s’enchainent comme un mantra la phrase-clé « viens dans mon rêêêêêêêêêve » (autre jeu : remplacez « rêve » dans cette phrase par la partie du corps de votre choix). On regrette un peu que le morceau n’ait pas servi de BO à un épisode de Freddy. D’ailleurs si Céline avait chanté sur scène avec le gant à griffes de Krueger, peut-être aurait-elle gagné. Mais surtout, la phrase "J'oublie tous mes états d'urgence" fait-elle référence à d'eventuels problèmes d'incontinence ? On aime à l’imaginer en tout cas. 13e place seulement.

3. Sophie & Magaly – Papa pingouin (1980)

Brushing extravagganza ! Pendant trois minutes, le plateau du concours aura autant ressemblé à une pub pour Kinder Pingui qu’à une réunion du fan-club de Farrah Fawcett. Le tout sous un improbable masque mortuaire géant aux yeux rouges, volant au-dessus de la scène. Alors Papa Pingouin est-elle une simple chanson naïve pour enfants ou bien une habile et profonde métaphore sur le mythe de la Caverne passée par le filtre des cultures animistes primitives ? Qu’en aurait-pensé Claude Lévi-Strauss ? L’insouciance kitsch de la chanson prend en tout cas évidemment tout son sel quand on connait le tragique destin des jumelles maudites (car oui, comme le prouvent leurs coiffures, elles sont nées sous une mauvais étoile). D’abord elles se font complètement pigeonner par leur producteur (le fameux Ralph Siegel, pourtant mentor et héros du concours). Elles ont beau passer à Droit De Réponse sur TF1 (l’ancêtre de Julien Courbet), rien n’y fait, elles restent pauvres malgré leur carton international. Magaly (on n’est pas très sur de laquelle des deux il s’agit) décède du sida en 1996, et Sophie se mure dans la dépression. Il paraitrait que depuis, elle vivrait recluse dans une chaumière abandonnée et qu’elle aurait même oublié comment parler français (bon ok j’ai inventé ce dernier détail). Lancez les rire enregistrés. Les esprits pointilleux remarqueront en tout cas que, sous la surface de la perfection faite tube (appelons un chat un chat !), les deux gamines ont en tout cas complètement confondu les pingouins et les manchots. Mais d’autres questions plus graves demeurent : le papa pingouin en question symbolise-t-il Dieu le père ? Qu’est devenu l’homme en costume de pingouin ? Pourquoi ces tenues de Pierrot Gourmand disco ? Pourquoi n’ont-elles pas joué le rôle des jumelles dans Shining ? Et surtout : à quoi auraient ressemblé les années 80 à l’Eurovision si elles avaient gagné comme elles le méritaient? (des chansons sur les autruches ? Sur les pangolins ? Sur Mimie Mathy ?). 9e place seulement !

2. Sophie Carles – 100% d’amour (1984)

Vous connaissiez Sophie Calle, vous allez adorez Sophie Carles. A elles deux, elles forment un peu le Yin et le Yang de l’intellect humain. Sur l’échelle luxembourgeoise de la niaiserie, Sophie a tout simplement pété tous les records en ce soir de 1984. Peut-être d’ailleurs parce qu’elle fait partie des très rares vraies citoyennes du Duché ? « Moi je voudrais faire quelque chose / Avec du bleu avec du rose/ Moi j’imagine une vidéo / Où les enfants parlent aux oiseaux ». Appelez la Pléiade. Mais tout cela est là encore transcendé par une interprétation inoubliable où elle minaude comme Hélène Rollès imitant la Cicciolina (il ne lui manque plus qu’un nounours dans les bras). Notez au passage que Sophie Carles avait 19 ans, soit deux de plus que Céline Carzo, cherchez l’erreur... Mais ce qui a rendu Sophie si culte (comme si tout cela n’y suffisait pas), c’est sa divine voix de cristal. Les premières fausses notes pointent rapidement le bout de leur nez (golden note à 2.56) pour s’achever dans un hilarant crescendo : à partir de 3.10, ça doit être tout simplement les vingt plus belles secondes que nous ait offertes le concours, c’en est presque orgasmique. Pour l’anecdote, Sophie a depuis renoncé à la chanson et est depuis devenue actrice, et une vraie. Elle a même sa page imdb. On y apprend d’ailleurs que son tout premier rôle dans « Plus beau que toi tu meurs » avec Aldo Maccione, est celui de « la fille aux énormes seins », et qu’on l’a vue depuis dans Julie Lescaut et Une femme d’honneur. Bien bien. Pensez également à regarder l’intro de la vidéo, digne de Tron, où son nom apparait sur des pièces d’or. Quelle prémonition pourrie. Qu’elle se soit hissé à la 10e place du classement reste encore à ce jour inexpliqué.

1. Baccara – Parlez-vous français ? (1978)

La réponse à cette question est bien évidemment NON, ou MAL. En revanche « Parlez-vous yaourt ?» ça oui complètement, à en juger par les toutes premières phrases du morceau: « dis-le moi vois-tu je t’en prie ? Je ne sais, et bien ça y est » (hein ?). Visiblement les Baccara n’ont jamais entendu parler du Bescherelle et n’ont jamais regardé Victor à la télé. Bon alors les Baccara c’est évidemment un méga-tube, « Yes sir I can boogie », mais également « Sorry, I’m a lady », chanson sont la confusion transgenre du titre nous laisse un peu perplexe. Elles tentent ici le disco francophone, passeport de séduction international s’il en est, sur le modèle du célèbre « voulez-vous coucher avec moi », avec sous-entendu érotique inclus (« cet homme il vient chez moi comme un brigand »). Alors que cette histoire de deux touristes innocentes et naïves en vacances à l’étranger et abordée par un inconnu, ça ferait plutôt un bon début de film d’horreur, non ? Est-ce pour ça que celle de droite à l’air complètement paniquée ? Les Baccara sont un peu la candidature ultime du Luxembourg : des stars, de la naïveté et surtout une joyeuse cacophonie d’accents. Tout cela nous fait regretter qu’elles n’aient pas été impliquées dans la rédaction de la dictée de Pivot ou de la pub Omo avec les chimpanzés. « As-tu compris l’importance de savoir le français ?». Quelle ironie… 7e place.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire